Osez avoir peur….
Moi j’ai peur… et toi ?
La peur… une émotion comme une autre
Sur le plan individuel, la peur est coincée entre l’angoisse, l’effroi et la crainte. Sur le plan collectif, on la retrouve au milieu de la panique et de l’épouvante. En cette année 2020 ô combien incertaine, elle est là insidieuse et cruelle, collective, et on s’aperçoit qu’elle peut venir paralyser un individu, un groupe d’individu, une société tout entière.
On la range tout naturellement à côté de la joie, de la colère, de la tristesse et de l’amour sur l’échelle des émotions humaines et, effectivement, elle en présente les mêmes caractères.
Petit éclairage sur les émotions
Une émotion est ce qui va venir nous distinguer et marquer une rupture entre l’individu que nous sommes et le milieu qui nous entoure. L’émotion peut être collective mais c’est au niveau individuel qu’elle va s’exprimer.
Concrètement, que se passe-t-il dans notre corps lorsqu’on ressent une émotion comme la peur ? Une modification physiologique va affecter les organes contrôlés par le système nerveux central et tout cela va se traduire par un changement d’expression. Un ventre noué, une mâchoire serrée, des trapèzes contractés, une respiration bloquée ou accélérée… chaque personne va ressentir des « signaux » différents.
Et chacun va ainsi colorer les expériences, les rattacher à l’une ou l’autre émotion vécue, et va pouvoir par exemple prendre des décisions personnelles qui vont finalement s’appuyer aussi sur ce ressenti profond.
C’est par l’émotion que s’exprime notre subjectivité. Toute personne humaine est en recherche perpétuelle de sens et l’émotion va venir donner une indication précise pour surmonter un doute et s’adapter à la nouvelle situation, pour précisément donner du sens.
On va venir s’appuyer sur nos connaissances, nos ressources (fournies par la tradition, la culture, notre système de valeurs, nos croyances et nos idéologies), pour interpréter et comprendre. Et l’émotion va mobiliser tout ce savoir pour affiner notre compréhension personnelle du monde.
En d’autres termes, et pour faire court, l’émotion nous aide à développer notre propre regard critique sur ce qui nous entoure.
La peur, un processus psychologique utile
La peur, dans son image la plus répandue, va se référer à des situations représentant une menace pour l’intégrité physique (peur de l’accident de voiture, peur de se faire agresser), ou psychologique (peur ne pas réussir, peur ne pas s’accomplir, peur de la maladie, peur de la prise de risque) ou encore à des périls indirects (peur « pour » untel ou untel).
Chaque peur a son histoire, s’ancre dans un parcours intime, dans une lignée psycho générationnelle et en cela est tout à fait unique. Pourquoi ai-je peur en permanence de perdre mon travail alors que mon collègue, dont les chiffres sont moins bons que les miens, être très confiant dans la pérennité de son emploi ?
Mais la peur est d’utilité sociale et individuelle, elle contribue à notre survie et à la survie de notre société par exemple. On peut aisément trouver de la matière à cette réflexion dans ce que l’on vit actuellement, en cette année 2020 !
Nous serons tous d’accord par exemple pour dire que la peur d’une femme de prendre le train seule au milieu de la nuit est saine, voir même salutaire. La peur va l’empêcher de se retrouver dans une situation à risque et lui intimer l’idée de trouver une alternative moins dangereuse pour rentrer chez elle.
Si elle peut partager sa peur avec quelqu’un, elle se confortera dans l’idée que c’est une peur communément partagée et donc spécialement justifiée, ne relevant pas d’une caractéristique personnelle intrinsèque (je suis trouillard, c’est pour ça que j’ai une peur bleue à l’idée de…).
Partager sa peur… une histoire de survie
Communiquer sa peur, savoir partager avec l’autre ce que nous ressentons, écouter ce que la personne en face ressent, trouver des peurs communes et des réponses à cette peur est indispensable pour survivre.
Tout petit, la survie du bébé dépend entre autre de sa capacité à exprimer le signal de la peur qu’il ressent au fond de lui. Alors, les parents seront informés de son besoin immédiat de sécurité et pourront y répondre. C’est ce système d’attachement primitif qui va venir fonder la sécurité de l’enfant et qui va lui fournir les ressources pour affronter les sources de stress tout au long de sa vie
Ce que les psys appellent le partage social fait écho au besoin que nous avons tous, après avoir vécu un épisode émotionnellement marquant, d’en parler et d’en partager le souvenir avec des personnes qui peuvent elles-mêmes se projeter dans notre histoire et sont alors à même de la partager à leur tour. On crée alors de véritables réseaux de partage basés sur l’identification et l’empathie. Julien a cru mourir de peur lorsqu’il a vu son fils de 5 ans lâcher sa main pour courir récupérer au milieu de la route son ballon. Il raconte cet épisode en boucle depuis trois semaines et cela commence à agacer sa femme qui trouve qu’il « en fait trop ». Mais Julien a besoin de réciter cette histoire traumatisante, marquée émotionnellement par une peur qui lui noue aujourd’hui encore le ventre.
Il se répare ainsi. Et, il le sent, la compassion de ses amis vient vraiment soulager ce ventre noué.
Partager ses peurs peut avoir plusieurs buts, le plus conscient étant de soulager les troubles liés à l’expérience émotionnelle : Partager pour digérer.
Mais cela permet également de trouver les moyens cognitifs pour l’intégrer à son système de pensée. On dépasse alors le simple niveau individuel : en confrontant mon sentiment de peur face à tel évènement au sentiment ressenti par l’autre, je construis une réalité sociale dans laquelle je peux me ressourcer. Je « resignifie », je donne un nouveau sens à ma peur et je développe un nouveau savoir que l’expérience de l’autre vient valider comme étant partagé.
Marion s’est retrouvé au cœur d’une avalanche sur une piste très empruntée d’une grande station, elle n’aurait jamais pensé que ça puisse lui arriver car elle considérait, comme tout le monde, que rien ne pouvait lui arriver si elle skiait sur la piste. Elle a eu la peur de sa vie.
En entendant les médias parler de l’évènement a posteriori, en en discutant avec les autres personnes présentes ce jour-là, elle a compris. Sa peur était justifiée, les autres ont eu peur. Et elle a intégré une nouvelle évidence dans son schéma de pensée : aucune activité en montagne est dénuée de risque, la montagne reste un environnement hostile.
Lorsque vous ressentez la peur, pensez au petit bébé que vous étiez, qui hurlait sa peur pour pouvoir entendre une réponse qui le sécuriserait. Ne gardez pas vos peurs terrées au fond de vous, exprimez-les ! Que ce soit avec votre conjoint, avec vos amis, vos parents, votre médecin, votre psychologue… Parlez-en ! Vous vous rendrez vite compte ainsi que vous n’êtes pas fou et que votre peur a un sens. Le vrai courage réside dans l’acceptation de sa propre vulnérabilité.
L’espoir plus fort que la peur
On oppose souvent la peur et l’espoir mais l’espoir orienté vers l’avenir, qui vient trouver sa source dans des valeurs profondes et nourri par la réflexion peut avoir raison de la peur.
Le philosophe allemand avait des mots très justes pour parler de cette connexion :
« Dans les cas concrets, la peur n’est jamais seule. Nous espérons toujours ne serait-ce que les choses que nous craignons n’arrivent pas. L’homme affronte sans peur un grand danger si la force de son désir, de son émotion, de sa passion anime son cœur. Quand ils sont en colère, les hommes et les animaux sont aveugles au danger. L’espoir peut vaincre la peur. L’homme, joueur par nature, espère contre toute attente. »
Alors, hauts les cœurs, nous avons peur, oui, mais serrons-nous les coudes, partageons nos peurs sans fausse pudeur, et opposons à la peur « L’audace d’espérer » pour reprendre le titre d’un célèbre ouvrage.